Mignon Richelieu, suprême de turbot Colbert, filet de bœuf Lorette, sultanes, autant de recettes tombées en désuétude.

Les menus d’antan

Éditorial et humeur - 02 mars 16

Si, dans une brocante ou un vide-grenier, vous tombez sur des menus de mariage du début du siècle dernier, laissez-vous séduire par les enluminures de ces cartons, témoignages de l’époque de nos arrières-grands-parents (ou grands-parents ?) : évidemment, on est d’abord frappé par l’abondance des mets, mais, finalement, pas plus que pour un menu-dégustation de nos chefs vedettes actuels. Surtout, penchez-vous sur des noms de plats que nous ne connaissons plus.

Et si, pour une prochaine réception, on essayait de piocher dans ces mets au nom mystérieux ou démodé ?

Mariage
Déjeuner du 5 octobre 1935

• Hors d’œuvre : langoustines-beurre, charcuterie assortie Ici, c’est clair, les langoustines sont sûrement cuites au court-bouillon et rafraîchies, mais les charcuteries ne devaient pas être très définies au moment de l’impression du menu.
• Relevé Cela désigne un plat entre les entrées et le plat de viande. Mais ce relevé manque un peu de précision.
• Mignon de grain Un filet mignon – ici, sans doute, de veau – issu d’une bête élevée au grain et en plein air.
• Légumes : salade, salsifis au jus Rien de mystérieux. Les salsifis sont servis arrosés de jus de viande et devaient être meilleurs que ceux de la cantine…
• Entremets : crèmes variées Probalement à la vanille, au chocolat, au café.
• Dessert : coupes de fruits, gâteaux assortis, gâteaux de pays Tout ça n’est pas très précis…
• Vins en carafe blanc et rouge, montbazillac, café, fine La “fine”, c’est une eau de vie de vin, mais plus souvent, du cognac, qu’on mouillait généralement pour boire une “fine à l’eau”. Mais cela pouvait être de l’armagnac, de la fine de Bourgogne, de Champagne, etc.

Déjeuner du 13 juillet 1936

• Hors d’œuvre variés : tomates provençales, artichauts à la grecque, salade russe Les demi-tomates sont cuites au four ou poêlées, aillées et persillées, à manger chaudes ou refroidies. Les artichauts – soit des petits artichauts poivrade, soit des fonds d’artichauts bretons – sont cuits avec une brunoise de légumes dans du vin blanc. La salade russe est une jardinière de légumes (petits pois, des de carottes et de navets) froide, à la mayonnaise.
• Entrée : tête de veau rémoulade La tête de veau est désossée, roulée et ficelée. Mais on ne sait pas si elle servie ainsi, cuite au court-bouillon, ou coupée en tranches panées et grillées. Accompagnée d’une sauce rémoulade classique.
• Poisson : suprême de turbot Colbert Le turbot est un poisson de choix, nappé de sauce Colbert, une préparation à base de beurre pommade avec du sel, du poivre, du jus de citron, du persil et de l’estragon hachés et une glace de viande.
• Relevé : filet de bœuf Lorette Le guide culinaire d’Escoffier parle de filet poêlé, servi avec une sauce demi-glace tomatée au dernier moment. Il s’agit d’un fond brun, en général de veau, réalisé avec les os.
• Rôt : poulet de grain à la broche, salade mimosa Un bon poulet de la ferme élevé au grain avec une salade agrémentée de jaune d’œuf haché.
• Légumes : haricots verts maître d’hôtel Avec du jus de citron, du persil haché et du beurre.
• Desserts : saint-honoré, gâteaux assortis, sultanes, corbeilles de fruits Les sultanes semblent être des verrines d’entremets, proche de la crème pâtissière.
• Vins : blanc et rouge supérieur, sainte-foy, fronsac, café, fine, liqueurs

Menu non daté
• Hors d’œuvre Dans les années soixante, on parlait de “hors d’œuvre variés” qui comportaient des carottes râpées, de la betterave, de la salade russe, des concombres, des œufs durs, un peu de pâté, du saucisson, etc. Tous les ”routiers” avaient un buffet de hors d’œuvre variés.
• Alose grillée vert-pré Un poisson rare, très prisé, dont la saison va de mars à juin. La sauce vert-pré consiste à hacher du cresson et de l’incorporer à de la crème montée ou du beurre. On y ajoute du citron et du persil ou de l’estragon. Voilà une idée à reprendre.
• Selle d’agneau Richelieu La selle rôtie est déglacée au madère et garnie de tomates farcies, de champignons et de fonds d’artichauts, eux-même farcis d’une duxelle, de laitues braisées et de pommes nouvelles.
• Suprême de volaille toulousain Impossible de trouver ce qu’un suprême de volaille peut avoir de toulousain… Peut-être une garniture à base de saucisse de Toulouse ?
• Filet de bœuf rôti Rien de particulier à signaler.
• Pommes nouvelles Pommes de terre de la même saison que l’alose.
• Pâté de gibier Bouchardeau La recette de ce Bouchardeau semble tombée aux oubliettes. Ou était-ce le nom du charcutier local, auteur de ce pâté de gibier?
• Salade Sans commentaire particulier
• Omelette soufflée Une omelette sucrée, dont les blancs d’œufs ont été séparés, montés en neige et réincorporés. En général, l’omelette soufflée est flambée au rhum ou au Grand Marnier. Un dessert aussi bon que facile à improviser.
• Pièce montée Probablement, une montagne de choux à la crème, à la française.
• Dessert Voilà qui manque de précision…
• Café
• Vins : grand ordinaire (!), bordeaux, bourgogne, champagne

Ce menu semblait particulièrement copieux : était-ce un buffet ou une succession de portions de dégustation ?

Menu non daté

• Hors d’œuvre Pas très précis. Décidément, les hors d’œuvre doivent sûrement laisser place à l’improvisation en cuisine.
• Truite saumonnée, sauce crevettes C’est une sauce blanche à la crème fraîche mélangée avec des crevettes grises décortiquées.
• Ris de veau bouquetière D’habitude, on parle de bouquetière de légumes. Il doit s’agir de ris de veau braisés accompagnés d’une bouquetière de légumes, c’est-à-dire d’une garniture faite de légumes disposés en bouquets de différentes couleurs (les haricots verts se prêtent bien à une présentation en bouquet).
• Filet de bœuf, sauce madère Une sauce passée de mode, mais que l’on trouve encore en conserve. Elle s’est beaucoup faite jusqu’au début des années soixante-dix.
• Dindonneaux rôtis On suppose qu’ici, ces dindonneaux rôtis venaient de la ferme et n’avaient rien à voir avec les rôtis de dindonneaux industriels.
• Petits pois paysanne : des petits pois du potager, sûrement agrémentés de lardons, de quelques rondelles de carottes et, souvent, d’une laitue cuite avec les petits pois.
• Glace vanille Indémodable.
• Dessert Là, mystère…

Buffet du 29 janvier 1902

• Consommé Un bouillon généralement à base de fond de volaille, de veau ou de bœuf, et clarifié. Servi dans des bols à bouillon, avec deux anses. Notez que cette habitude du consommé revient au goût du jour. Bien sûr pas question de bouillon instantané.
• Saumon du lac sauce mayonnaise Ce buffet a dû avoir lieu au bord d’un lac… d’Annecy ? du Bourget ?
• Jambon d’York à la gelée Un jambon de porc entier avec l’os cuit en saumure, égoutté, étuvé en atmosphère de fumée et cuit avec l’os, le gras et la couenne.
• Pâtés de faisan truffés Des pâtés de faisan individuels
• Filet de bœuf glacé au madère Un classique rôti de bœuf déglacé au madère, un ingrédient beaucoup moins utilisé en cuisine à présent.
• Galantine de volaille Lucullus La galantine est une terrine composée de morceaux de viande blanche dans de la gelée, servie froide. Pour être à la Lucullus, il semble que du foie gras y ait été incorporé.
• Barquettes de foie gras Des petits fonds de tartelettes en forme de navettes ou de barquettes garnies de foie gras.
• Sandwiches variés Certainement ce qu’on appelle aussi des canapés, divers et variés.
• Salade écossaise Du saumon fumé coupé en lamelles très minces avec des pommes de terre et des cœurs de laitues, vinaigrette et Worcestershire sauce. Mais cette interprétation demande confirmation.
• Chocolat, punch, café, thé
• Café glacé, glaces
• Marquises au champagne Un cocktail de champagne avec du sucre fondu dans du vin. Se boit très frais.
• Sirops variés, chablis, bordeaux, champagne Moët et Chandon

À titre de curiosité, voici l’ordonnance d’un grand repas français au XIXe siècle

Le célèbre cuisinier Jules Gouffé (1807-1877) conseille un système de service mixte, mi-russe et mi-français, pour servir à un grand nombre d’invités, avec des hors-d’œuvres et entrées qui doivent être servis chauds :

  • 2 potages : potage aux huîtres, consommé garni de quenelles et de pointes d’asperges
  • 2 hors-d’œuvres dit “assiettes volantes” : filets de merlans à l’anglaise, bouchées à la reine
  • 2 relevés : turbot sauce crevettes garni d’anchois frits, rosbif de mouton garni de pommes de terre sautées
  • 2 flancs : poulardes à la régence, filet de bœuf à la mayot et sauce française
  • 4 contre-flancs : chartreuse de cailles, timbale chasseur, casserole au riz à la royale, pâté chaud de ris d’agneau
  • 4 entrées doubles volantes : 2 de suprême de volaille aux truffes, 2 de côtelettes d’agneau aux petits pois
  • 4 rôts : 2 dindes truffées, 2 de faisan et bécasses
  • 2 pièces montées : pavillon chinois sur rocher, maison rustique sur rocher
  • 2 flancs froids : pain de foie à la gelée sur socle, galantine de poulet en bastion sur socle
  • 2 extras : soufflé vanille, gaufres flamandes
  • 4 contre-flancs, relevés de rôts : 2 croquembouches de génoise sur socle garni de sucre filé, 2 gâteaux de Compiègne sur socle ornés de sucre filé
  • 8 entremets de légumes : 4 d’asperges, 4 fonds d’artichauts à l’italienne
  • 8 entremets de douceur : 2 timbales de gaufres garnies de plombière, 2 gelées d’eau d’or garnies de fraises, 2 timbales pastefrolle garnies d’une sicilienne, 2 gelées de noyaux garnies de cerise et d’abricots confits.

Il faudra qu’on m’explique un peu : encore tout un vocabulaire à éclaircir…

Et le bœuf glacé au madère, la galantine de volaille Lucullus, les ris de veau bouquetière, la selle d’agneau Richelieu, des préparations oubliées. Mais le consommé connaît un renouveau.

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