Curnonsky est avant tout journaliste. Il a considérablement commenté la cuisine de tout le terroir, avant de défendre mordicus l’appellation châteauneuf-du-pape. Influenceur, dirions-nous de nos jours. (Illustration : Artelette)

Les grands noms de l’art de la gastronomie : Curnonsky

Éditorial et humeur - 20 juin 19

De nos jours, Curnonsky serait sûrement juré de Top Chef ou d’une autre émission de cuisine populaire, et sans doute assez critique. En effet, grand ambassadeur de la cuisine française, amoureux de notre terroir, il a été l’ardent défenseur d’une cuisine simple, sans fioritures, “quand les choses ont le goût de ce qu’elles sont”. Dans l’entre-deux-guerres, le nom de Curnonsky est devenu synonyme de gastronomie française. Et, aujourd’hui encore, auberges et grands restaurants se réclament de lui en cuisinant volontiers “à la Curnonsky”.
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Maurice Edmond Sailland, dit Curnonsky, né à Angers le 12 octobre 1872 et mort à Paris le 22 juillet 1956 (à 83 ans), est un gastronome, humoriste et critique culinaire français, surnommé “le prince des gastronomes”.
Il a été élevé par sa grand-mère, puisqu’il était orphelin de mère et abandonné par son père. Les descendants de sa trisaïeule, Jeanne Sailland, sont dispensés par rescrit papal de faire maigre, ce qui est à l’origine de sa vocation de gastronome.

À 18 ans, il a préparé l’École normale supérieure à Paris pour devenir journaliste. Il a commencé par écrire pour des journaux tels que La Vie parisienne, Le Music-Hall illustré du matin et Comédia. La mode était aux noms à consonance russe (c’était l’époque de l’alliance franco-russe) et, pour choisir un pseudonyme, la question “Pourquoi pas sky ?” est posée en latin : “Cur non sky ?”, approuvé par Alphonse Allais, dont il a repris les chroniques dans Le Journal. En complément , il est devenu en 1895 un des “nègres” de Willy, le premier mari de Colette.

Après avoir coécrit, avec Paul-Jean Toulet, trois romans, Le Bréviaire des courtisanes et Le Métier d’amant, publiés sous le pseudonyme de Perdiccas, puis Demi-Veuve, paru en feuilleton sous la même signature, mais dont Curnonsky a signé seul l’édition en un volume.
Curnonsky a aussi prêté sa plume à des “réclames” pour le Pyrex, le Frigidaire, le roquefort, mais sans associer son nom à ces publicités. Il aurait été à l’origine du nom du Bibendum Michelin.

La simplicité, signe de perfection

Après l’exposition universelle de 1900, et un voyage en Extrême-Orient où il a découvert la cuisine chinoise, Le Journal (rubrique de “gastronomade”) et Le Matin l’ont engagé pour rédiger les chroniques gastronomiques, comme son appétit légendaire – il pèse alors près de 120 kilos pour 1,85 mètre – l’y a naturellement conduit.

Prenant le contre-pied de la haute cuisine codifiée et raffinée d’Auguste Escoffier et défendant la cuisine bourgeoise, il a résumé sa philospophie par cet aphorisme “en cuisine comme dans tous les autres arts, la simplicité est le signe de la perfection”.

À partir de 1921, avec son ami Marcel Rouff, il a publié La France gastronomique, une collection de 28 recueils (sur 32 prévus) sur la cuisine régionale et sur les meilleurs restaurants de France. Ils mêlent gastronomie et tourisme puisque l’époque s’y prête avec la disparition des voitures à chevaux et des relais de diligence. Place à l’automobile et aux étapes gastronomiques en bordure des grands axes.
C’est ainsi que, dès 1926, faisant partie de l’Automobile Club de France, il a participé à la naissance du Guide Michelin.

C’est en 1927 qu’il a été élu “prince des gastronomes” après un vote des cuisiniers, restaurateurs et gastronomes organisé par la revue Le Bon Gîte et la Bonne Table, titre qui lui reste attaché encore aujourd’hui.

En 1930, il a fondé l’Académie des gastronomes et l’Académie de l’humour avec Romain Coolus.

Il publié au total une cinquantaine d’ouvrages sur la cuisine et fut décoré au grade de chevalier de la Légion d’honneur en 1928, puis officier en 1938.

Le retour à une cuisine de bistrot

Curnonsky est alors si connu que les plus grands restaurants ont donné son nom à des recettes.
Chez Lucas Carton, on déguste la “sole petit prince”, chez Paul Haerbelin, à l’Auberge de l’Ill, des “médaillons de veau Curnonsky”, chez Taillevent, la “poularde pochée au cresson Curnonsky”.

Pour ses 80 ans, à l’initiative de la revue Cuisine et Vins de France, qu’il a créée en 1947, 80 restaurateurs se retrouvent à ses côtés à l’hôtel Lutétia. Antoine Pinay, président du Conseil, est présent. Chacun des maîtres queux érige Curnonsky en hôte d’honneur de son restaurant. Il répond quelques jours plus tard dans la revue par l’un de ses calembours favoris: “Merci de tout Cur…”

Fondateur d’institutions et de revues

En 1933, il a fondé l’Académie du vin de France avec le baron Pierre Le Roy de Boiseaumarié, qui a entrepris un combat pour faire reconnaître les AOC et que Curnonsky vient souvent retrouver sur place à Châteauneuf-du-Pape pour aller déguster ce vin dont il est grand amateur.
Et, en mai 1934, il a pris la direction littéraire de la revue La France à table dès son premier numéro.

En 1938, il a lancé en Belgique le Club de la bonne auberge, avant de devenir le Club des gastronomes et, finalement, le Club royal des gastronomes de Belgique, par brevet du roi Albert II en 1997.

C’est en 1947 qu’il créa la revue Cuisine et Vins de France, avec Madeleine Decure. Cette revue donnera naissance en 1953 à un monumental ouvrage du même nom, considéré comme la bible des recueils de recettes de cuisine.
En 1950, il a fondé avec quelques amis la prestigieuse association gastronomique internationale, la Confrérie de la chaîne des rôtisseurs et, en 1954, l’Association professionnelle des chroniqueurs et informateurs de la gastronomie et du vin (APCIG) avec quelques confrères.
Depuis, chaque année, l’APCIG remet le prix Amunategui-Curnonsky à un journaliste.

Le 22 juillet 1956, pris d’un malaise, il est tombé de la fenêtre de son appartement au troisième étage du 14, place Henri-Bergson, dans le VIIIe arrondissement de Paris.
Il est inhumé dans le cimetière de Beauchamp (Val-d’Oise).

En 2010, lorsque le repas gastronomique à la française fut inscrit au patrimoine immatériel de l’humanité, Gérard Depardieu, partie prenant à l’événement, a rendu une vibrant hommage à ce “prince des gastronomes” qui contribua prodigieusement à la renommée de notre art culinaire.

Bibliographie

• Demi-Veuve, Curnonsky & Paul-Jean Toulet, Paris, A. Méricant, 1905.
• Jacques et Cécile, ou le Bonheur par le sport, dessins de Félix Lorioux, préface de Georges Carpentier, A.P. Éditeur, Paris, 1920.
• La France gastronomique. Guide des merveilles culinaires et des bonnes auberges françaises, avec Marcel Rouff, Paris, Frédéric Rouff, 1921.
• Le Musée des erreurs, avec J.-W. Bienstock, Paris, Albin Michel, 1925.
• Le Wagon des fumeurs, avec J.-W. Bienstock, Paris, G. Crès et Cie éditions, 1925.
• Arthur Szyk, Le Juif qui rit, légendes anciennes et nouvelles arrangées par Curnonsky et J.W. Bienstock, Paris, Albin Michel, 1926.
• Le Café du commerce, avec J.-W. Bienstock, Paris, Albin Michel, 1928.
• Le Tour du cadran, avec J.-W. Bienstock, 1930.
• Les Recettes des provinces de France, 1930.
• Le Bien-Manger. Itinéraire gastronomique, Paris, Office d’Édition d’Art, 1931.
• Gaités et curiosités gastronomiques, avec Gaston Derys, Paris, Delagrave, 1933.
• Les Indiscrétions de l’écriture. Notion de graphologie, avec Gaston Derys, Paris, Delagrave, 1933.
• Dictionnaire de l’Académie de l’humour français, Paris, Éditions de la Tournelle, 1934.
• Les Fines Gueules de France, avec Pierre Andrieu, Paris, Firmin Didot, 1935.
• Lettres de noblesse, préface du Dr de Pomiane, illustré par Edy Legrand, Les Éditions nationales, Paris, 1935.
• Lyon, capitale mondiale de la gastronomie, avec Marcel E. Grancher, éditions Lugdunum, Lyon, 1935.
• L’Infortune du pot, Paris, Éditions de la couronne, 1946.
• À travers mon binocle, Paris, Albin Michel, 1948.
• La table et l’amour, avec André Saint-Georges, Paris, La clé d’or, 1950.
• Une grande datte dans ma vie : je me mets au régime !, illustration de Jean Effel, Paris, G. Lang, 1952.
• Cuisine et Vins de France, Paris, Larousse, 1953.
• Souvenirs littéraires et gastronomiques, Paris, Albin Michel, 1958.

Les recettes ultra-classiques de Curnonsky, comme une bible de la cuisine française traditionnelle, après une première édition de 1953 chez Larousse, ont été souvent rééditées. La mienne date de 1988. Une somme...
Curnonsky a donc vécu ici, entre Saint-Augustin et Saint-Lazare, un immeuble assez simple, 14, place Henri-Bergson, à Paris VIIIe, où il mourut le 22 juillet 1956.

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