Antonin Carême a remplacé le bonnet des cuisiniers par la toque. En cuisine, il inventa, entre autres splendeurs, le vol-au-vent. (Illustration : Artelette)

Les grands noms de l’art de la gastronomie : Antonin Carême

Éditorial et humeur - 06 nov. 18

Recherché par les cours royales, Marie-Antoine (vite dit Antonin) Carême est l’un des premiers cuisiniers à avoir acquis une renommée internationale. Représentant de la haute gastronomie française, il est considéré comme “le chef des rois et le roi des chefs” et le premier à être appelé “chef”. Antonin Carême pour qui “lorsqu’il n’y aura plus de cuisine dans le monde, il n’y aura plus d’intelligence élevée, de relations liantes, il n’y aura plus d’unité sociale”, sera le premier portrait de cette rubrique consacrée aux grands noms de la gastronomie. (cliquez sur l’image ou le titre pour lire la suite)

Antonin Carême est né à Paris le 8 juin 1784, cinq ans avant la Révolution, et fut abandonné à 8 ans à la barrière de Paris par ses parents qui ont déjà quatorze bouches à nourrir. Il va mendier et se faire recruter comme garçon de peine chez un gargotier de banlieue. Il se met aux fourneaux et s’applique jusqu’à ce qu’à 13 ans, il soit engagé par la pâtisserie Bailly, rue Vivienne, qui fournit les cuisines de Talleyrand, alors ministre de Bonaparte sous le Directoire. Pendant son temps libre, le mitron apprend à lire en compulsant des ouvrages de cuisine et étudie le dessin d’architecture. On lui confie alors des pièces exceptionnelles pour la table du Premier consul. Ses pièces montées spectaculaires, de véritables chefs-d’œuvre, qui mesurent jusqu’à 1,30 m de haut, le rendent célèbre. En 1802, tout en poursuivant sa formation auprès des plus grands cuisiniers, Antonin Carême, à 18 ans, ouvre sa propre pâtisserie rue de la Paix. Il la conservera jusqu’en 1813.

Toque blanche et vol-au-vent

À 20 ans, il travaille chez Talleyrand, au château de Valençay. Talleyrand avait mis Carême au défi de composer une année entière de menus, sans répétition et uniquement avec des produits de saison. Le cuisinier a réussi le test et compléta ainsi sa formation dans les cuisines de Talleyrand. La table de Talleyrand devint internationalement célèbre lors du congrès de Vienne.
En 1814, il prend la tête des cuisines du tsar Alexandre lors de son séjour parisien.
Puis, après la chute de Napoléon, il embarque pour Brighton et dirige les cuisines du prince de Galles, futur roi George IV, avant de partir régaler l’empereur d’Autriche François Ier et Lord Steward, ambassadeur d’Angleterre à la cour autrichienne. C’est à Vienne, en 1821, qu’Antonin Carême met au point la toque blanche. Pour que ses marmitons aient plus fière allure, il fait glisser un rond de carton dans leurs bonnets de coton (genre bonnets de nuit) pour obtenir une coiffe rigide.
On s’est fait une spécialité du vol-au-vent, ou plutôt, de l’emploi systématique d’une pâte feuilletée légère et croustillante, avec des garnitures variées. Notez que les bouchées à la reine individuelles ne sont apparues qu’au milieu du XXe siècle.

L’avènement des livres de cuisine

Il participe à cette grande vogue de l’écriture gourmande du début du XIXe siècle. Ses œuvres, qu’il a lui-même illustrées, vite épuisées, ont été moult fois rééditées. Il a scrupuleusement consigné ses recettes et ses expérimentations : ”J’avais l’excellente habitude de noter, le soir, en rentrant chez moi, les modifications que j’avais faites dans mon travail, où chaque jour apportait quelque changement… Ces livres ont été la pensée de toute ma vie. […] Au point du jour, j’étais à la halle…”, rapporte-t-il dans ses mémoires. En allégeant les plats et en mettant à l’honneur les aliments de saison, en revenant à la saveur fondamentale, sans sophistications, il a révolutionné et simplifié la cuisine tout en restant artistique. Il est considéré comme le fondateur de la cuisine bourgeoise du XIXe siècle. L’œuvre de Carême comprend des menus et des plans de table, une histoire de la cuisine française et des instructions pour l’organisation de cuisines. Les gravures des buffets et des plats qu’il confectionnait sont reproduites dans ses traités. C’est son disciple Jules Gouffé qui fut le premier cuisinier à éditer le livre de cuisine comme nous le connaissons aujourd’hui, incluant les quantités précises des ingrédients ainsi que les temps et températures de cuisson.

L’introduction du service à la russe

Il élève l’art culinaire au rang de science et étend rapidement ses talents culinaires aux plats principaux présentés lors du service à la française. Le service à la française consistait à servir tous les mets en même temps et chaque convive picore ce qui lui plaît. Cependant, après son retour de Russie, Antonin Carême introduisit progressivement le service à la russe qui se généralise sous le Second Empire. C’est la bourgeoisie qui dicte ses codes par lesquels les convives mangent tous la même chose et où les plats (chauds) se succèdent les uns après les autres.
Antonin Carême impose un retour aux vraies valeurs de la gastronomie avec l’utilisation d’herbes, de légumes frais, et des sauces légères et subtiles qui ne masquent pas le goût des aliments. Il a ainsi esquissé un changement des goûts culinaires des classes dirigeantes.

Disparition et postérité

Antonin Carême meurt à 48 ans, le 12 janvier 1833 à Paris, rue Neuve-Saint-Roch. Il est enterré au cimetière de Montmartre.
Deux hypothèses s’affrontent. La première veut qu’il ait succombé, après avoir cuisiné sa vie durant au charbon de bois, à une trop longue absorption fumées toxiques.
Plus récemment, de possibles complications d’infections dentaires sont évoquées. Cette supposition résulte de l’examen de son crâne, conservé au Muséum national d’histoire naturelle, et qui montre un état dentaire dégradé. La carie serait une maladie professionnelle des personnes manipulant le sucre.

Le portrait d’Antonin Carême apparaît sur la médaille d’or de l’Académie culinaire de France.

Œuvres

• Le Pâtissier royal parisien, orné de 41 planches par l’auteur (1815)
• Le Pâtissier pittoresque, orné de 128 planches par l’auteur (1815)
• Le Maître d’hôtel français, parallèle de la cuisine ancienne et moderne considérée sous le rapport de l’ordonnance des menus à servir selon les quatre saisons, à Paris, à Saint-Pétersbourg, à Londres et à Vienne (1822)
• Le Cuisinier parisien (1828)
• L’Art de la cuisine au XIXe siècle ou traité élémentaire des bouillons en gras et en maigre, des essences, fumets, des potages français et étrangers, grosses pièces de poisson, des grandes et petites sauces, des ragoûts et des garnitures, grosses pièces de boucherie, de jambon, de volaille et de gibier, suivi des dissertations culinaires et gastronomiques utiles au progrès de cet art, achevé par Plumerey (1833)
• La Cuisine ordinaire, avec Beauvilliers (1848)

Bibliographie

• Le Roi Carême, de Philippe Alexandre et Béatrix de L’Aulnoit.
Éditions Albin Michel, 2003 et Livre de poche.
Épuisé, en vente d’occasion sur les sites de la Fnac, Amazon, etc.

Prochain grand nom de l’art de la gastronomie :

Jules Gouffé, son disciple

Antonin Carême a glissé un carton sous le bonnet des cuisiniers pour le redresser. De fil en aiguille, la toque droite est apparue. (Dessin de Carême)
La sépulture d’Antonin Carême, au cimetière de Montmartre, à Paris, est toujours entretenue. Ici, en novembre 2018. (Photo : R. Ly)

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